Pourquoi le calcul brut–net en Suisse n’est pas si simple
En Suisse, le salaire brut n’a souvent pas grand-chose à voir avec ce qui finit sur le compte en banque en fin de mois. Entre les assurances sociales, la prévoyance professionnelle, les impôts à la source et quelques spécificités bien helvétiques, la différence peut facilement atteindre 15 à 25 %… voire plus selon la situation.
En Suisse romande, le casse-tête est encore alimenté par les différences entre cantons : un même salaire à Lausanne, Sion ou Genève ne donnera pas le même net. De quoi perdre un peu ses repères lorsqu’on négocie une nouvelle place, qu’on recrute depuis l’étranger… ou qu’on prépare un budget familial.
L’objectif de cet article est simple : démystifier le calcul brut–net en Suisse romande, vous montrer comment l’estimer rapidement, quels simulateurs utiliser, et sur quels points être particulièrement attentif.
Salaire brut, salaire net : de quoi parle-t-on exactement ?
Avant de sortir la calculette, encore faut-il s’entendre sur les termes. Dans le langage courant, tout le monde parle de « salaire ». Mais en pratique, il y en a plusieurs.
Le salaire brut est le montant indiqué sur le contrat de travail, avant toute déduction. Il comprend généralement :
- Le salaire de base (mensuel ou horaire)
- Les éventuelles primes contractuelles (prime de fonction, de performance, de pénibilité…)
- Une part de 13e salaire, si celui-ci est versé chaque mois et non en une fois
- Les indemnités régulières (p. ex. indemnité de caisse, indemnité de garde)
Le salaire net, c’est le montant effectivement versé sur votre compte, après déductions sociales et, le cas échéant, impôt à la source.
Entre ces deux montants, on trouve donc essentiellement :
- Les cotisations aux assurances sociales (AVS/AI/APG, AC, etc.)
- Les cotisations à la prévoyance professionnelle (LPP, 2e pilier)
- Les primes d’assurance accident et, parfois, d’indemnité journalière maladie
- L’impôt à la source pour les personnes concernées
Autrement dit, si votre futur employeur vous propose 6 000 CHF « brut », cela ne signifie pas que 6 000 CHF finiront sur votre compte. D’où l’importance de savoir convertir rapidement ce brut en net.
Les principales déductions sociales sur un salaire en Suisse romande
Les assurances sociales de base sont fédérales, donc identiques à Genève, Fribourg, Valais ou Vaud. Mais leur impact reste parfois mal compris. Tour d’horizon des postes les plus importants.
AVS/AI/APG
C’est le premier bloc : vieillesse (AVS), invalidité (AI) et pertes de gain (APG, notamment en cas de service ou de maternité). Les cotisations sont partagées moitié-moitié entre employeur et employé.
Au 1er janvier 2024, la part employé se situe autour de 5,3 % du salaire brut (la valeur précise peut évoluer, toujours vérifier les taux en vigueur). C’est donc une ligne significative sur chaque fiche de salaire.
Assurance-chômage (AC)
L’AC assure un revenu en cas de perte involontaire d’emploi. La cotisation employé se situe autour de 1,1 % sur la tranche de salaire jusqu’à un certain plafond annuel, puis un supplément de solidarité peut s’appliquer au-delà.
Prévoyance professionnelle (LPP, 2e pilier)
C’est souvent la plus grosse « surprise » pour celles et ceux qui découvrent la Suisse. La LPP est obligatoire à partir d’un certain seuil de salaire annuel (montant coordonné) et le taux de cotisation augmente avec l’âge. Chaque caisse de pension a son règlement, mais on voit souvent :
- Des cotisations totales (employeur + employé) entre 7 % et 18 % du salaire assuré selon l’âge
- Une part employé de 40 à 50 % de cette cotisation, soit typiquement 4 à 9 % du salaire assuré
Deux salariés avec le même brut, dans deux entreprises différentes, peuvent ainsi avoir un net sensiblement différent simplement parce que leur caisse de pension est plus ou moins généreuse.
Assurance accident (LAA)
L’assurance accident est obligatoire pour tous les salariés. Elle se décompose en :
- Accidents professionnels (payés par l’employeur)
- Accidents non professionnels (ANP), généralement payés par l’employé
Le taux ANP varie selon la branche et l’assureur, mais tourne souvent autour de 1 à 2 % du salaire brut pour un salarié à plein temps.
Assurance indemnité journalière maladie (IJM)
Elle n’est pas légalement obligatoire, mais très répandue. Elle couvre une partie du salaire en cas de maladie de longue durée. Selon les entreprises :
- Elle peut être entièrement à la charge de l’employeur
- Ou partagée, avec une part prélevée sur le salaire de l’employé (souvent 0,5 à 1,5 %)
Autres retenues possibles
On peut encore trouver :
- Des cotisations syndicales (si affiliation via l’entreprise)
- Des contributions à un fonds de formation ou de branche (dans certaines CCT)
- Des retenues pour avantages volontaires : parking, repas, assurance complémentaire, etc.
C’est l’ensemble de ces éléments qui explique pourquoi il n’existe pas de « pourcentage magique » unique pour passer du brut au net.
Et l’impôt à la source dans tout ça ?
En Suisse romande, la question de l’impôt à la source est particulièrement sensible, notamment dans les cantons frontaliers comme Genève ou Vaud.
L’impôt à la source est prélevé directement sur le salaire des personnes qui :
- Ne disposent pas encore d’un permis C (ou de la nationalité suisse)
- Ou sont des frontaliers, selon les accords entre cantons et pays voisins
Le taux dépend de πολλs de paramètres :
- Le canton de travail (Genève, Vaud, Valais, Neuchâtel, etc.)
- La situation familiale (célibataire, marié, en couple, avec ou sans enfants)
- Le revenu global annuel (les barèmes sont progressifs)
- L’éventuelle pratique religieuse (certains cantons prélèvent l’impôt ecclésiastique à la source)
Résultat : deux personnes avec le même salaire brut, dans le même canton, peuvent avoir un net très différent selon qu’elles soient célibataires ou mariées, avec ou sans enfants, résidentes ou frontalières.
À noter : pour les personnes imposées de manière ordinaire (sans impôt à la source), l’impôt sur le revenu n’apparaît pas sur la fiche de paie. Il est payé séparément, sur facture de l’administration fiscale cantonale.
Comment estimer son salaire net : méthode pas à pas
Pour se faire une idée rapide, beaucoup de recruteurs et de candidats utilisent une « règle de pouce » : retirer entre 15 % et 20 % du brut pour approcher le net, hors impôt. Mais pour un calcul un peu plus sérieux, on peut procéder en plusieurs étapes.
1. Partir du salaire brut contractuel
Exemple : vous négociez un poste à 6 500 CHF brut par mois à Sion, 13e salaire inclus (donc 6 500 CHF chaque mois).
2. Appliquer des pourcentages moyens pour les cotisations sociales
À titre indicatif (les taux exacts varient légèrement) :
- AVS/AI/APG : ~5,3 %
- AC : ~1,1 %
- LAA non professionnelle : ~1,3 % (variable)
- LPP (part employé) : entre 4 et 7 % selon âge et règlement de caisse
- Assurance perte de gain maladie (si à la charge de l’employé) : p. ex. 1 %
Dans un cas médian, on arrive facilement à un total de 13 à 16 % de déductions sociales sur le brut (hors impôt à la source).
3. Calculer une estimation
Sur 6 500 CHF brut :
- Supposons 15 % de charges sociales globales : 6 500 x 15 % = 975 CHF
- Salaire net avant impôt à la source ≈ 6 500 – 975 = 5 525 CHF
Si vous êtes soumis à l’impôt à la source, il faudra retirer encore, par exemple :
- 8 % pour un célibataire sans enfant dans un canton à fiscalité moyenne
Ce qui donnerait :
- Impôt à la source ≈ 5 525 x 8 % = 442 CHF
- Salaire net versé ≈ 5 083 CHF
On voit ici que, pour un même brut, le net peut varier de plus de 400 CHF par mois selon l’assujettissement à l’impôt à la source.
Cette méthode reste approximative, mais elle permet déjà de repérer si une promesse d’embauche est réaliste par rapport à votre budget (logement, primes LAMal, transport, etc.).
Les simulateurs brut–net à connaître en Suisse romande
Heureusement, vous n’êtes pas obligé d’aimer les pourcentages pour vous y retrouver. Plusieurs simulateurs fiables existent, certains publics, d’autres privés.
Simulateurs cantonaux et fédéraux
- Les administrations fiscales cantonales proposent des calculateurs d’impôt (utile pour estimer l’impôt ordinaire ou à la source, selon les cas)
- Confédération : outils d’estimation pour certaines assurances sociales sur le site de l’OFAS
Ils ne font pas toujours le brut–net intégral, mais sont très utiles pour la partie impôt.
Simulateurs privés
Plusieurs entreprises et cabinets RH ont développé des outils de calcul brut–net pour la Suisse. Ils intègrent généralement :
- Les principales déductions sociales standardisées
- Une estimation de la LPP (avec des hypothèses moyennes)
- Une approximation de l’impôt à la source selon le canton et la situation familiale
En saisissant simplement le salaire brut, le canton, la situation familiale et parfois l’âge, on obtient une estimation du net mensuel. Ces outils sont précieux, à condition de garder en tête leurs limites :
- Ils ne tiennent pas toujours compte de la spécificité de votre caisse de pension
- Les taux d’assurance accident ou IJM peuvent différer de ceux choisis par votre employeur
- Les barèmes d’impôt à la source sont régulièrement mis à jour
Pour une négociation salariale ou un projet d’installation en Suisse romande, ces simulateurs offrent néanmoins une première base très utile.
Spécificités des salaires en Suisse romande
Au-delà des aspects techniques, la Suisse romande a ses petites particularités salariales qu’il vaut la peine de garder en tête lorsqu’on parle de brut et de net.
13e salaire et primes
Dans beaucoup d’entreprises romandes, le 13e salaire est la norme, surtout dans l’industrie, l’administration et les grandes structures. Il peut être versé :
- Soit en une fois, souvent en novembre ou décembre
- Soit étalé sur 12 mois (par exemple, 13/12 du salaire chaque mois)
Attention : lorsque vous comparez deux offres, vérifiez toujours si le 13e salaire est inclus dans le brut annoncé ou non.
Différences cantonales en matière de fiscalité
Un cadre supérieur gagnant 10 000 CHF brut par mois ne vivra pas de la même façon à Genève, Fribourg ou en Valais. Les impôts sur le revenu, les charges communales et parfois même certaines allocations varient sensiblement d’un canton romand à l’autre.
Un exemple typique :
- Un salarié imposé à la source à Genève aura souvent un taux plus élevé qu’en Valais pour un même salaire et une même situation familiale
- Mais certains coûts de la vie (logement, transports) peuvent aussi être plus chers ou moins chers selon le canton
Raison de plus pour ne jamais se contenter du brut lorsqu’on évalue une offre.
Conventions collectives de travail (CCT) et branches
Le monde du bâtiment à Lausanne, l’hôtellerie à Verbier ou la pharma à Bâle : les CCT changent les règles du jeu. Certaines CCT prévoient :
- Des 13e salaires obligatoires
- Des primes d’ancienneté ou de pénibilité
- Des minima salariaux par fonction et par région
- Des contributions à des fonds de formation ou de retraite de branche
Pour un employeur comme pour un salarié, vérifier la CCT applicable peut éviter de grosses surprises en fin de mois.
Les erreurs fréquentes lorsqu’on passe du brut au net
Quelques pièges reviennent systématiquement dans les discussions entre candidats, recruteurs et entrepreneurs romands.
- Se fier à un pourcentage unique : croire que « 80 % du brut = net » dans tous les cas. C’est parfois vrai… mais parfois totalement faux si la LPP est très élevée ou l’impôt à la source important.
- Oublier l’assurance maladie obligatoire (LAMal) : elle n’est pas prélevée sur le salaire, donc invisible sur la fiche de paie, mais elle pèse lourdement sur le budget mensuel.
- Confondre brut annuel et brut mensuel : surtout lorsqu’un 13e salaire est versé. Un brut annuel de 78 000 CHF peut signifier 6 000 CHF x 13, et non 6 500 CHF x 12.
- Ignorer les allocations familiales : pour les parents, les allocations versées par l’employeur (mais remboursées par la caisse de compensation) augmentent le revenu disponible, sans apparaître dans le brut contractuel.
- Sous-estimer l’effet du canton : un même brut à Genève et en Valais ne donne pas du tout le même net après impôt.
Pour les employeurs romands : bien présenter une offre de salaire
Pour les PME valaisannes ou vaudoises qui recrutent, notamment à l’international, la question du brut–net n’est pas qu’un détail administratif. Elle peut faire la différence entre un candidat rassuré… et un départ après quelques mois.
Quelques bonnes pratiques :
- Indiquer clairement le salaire brut mensuel et le salaire brut annuel, en précisant la question du 13e salaire
- Fournir une estimation du net « typique » pour le profil (âge, statut, canton), en expliquant qu’il s’agit d’une estimation
- Expliquer les principaux postes de déduction (AVS, LPP, assurance accident, etc.) avec des mots simples
- Mettre à disposition un exemple de fiche de salaire anonymisée
- Pour les recrutements internationaux, mentionner explicitement que l’assurance maladie obligatoire n’est pas incluse dans le salaire et doit être prise en charge individuellement
Une offre transparente sur ces points est souvent perçue comme plus professionnelle et renforce la confiance dans la relation de travail dès le départ.
Pour les salariés et candidats : les bonnes questions à poser
Face à une nouvelle place à Genève, Sierre ou Neuchâtel, quelles questions poser pour comprendre réellement ce que vous toucherez à la fin du mois ?
- Le salaire indiqué est-il avec ou sans 13e salaire ? Comment est-il versé ?
- Quels sont les taux de cotisation LPP (part employé) et quelles sont les prestations de la caisse de pension ?
- Qui paie la prime d’assurance accident non professionnelle et l’assurance perte de gain maladie ?
- Suis-je soumis à l’impôt à la source dans ce canton, et si oui, à quel barème approximatif ?
- Y a-t-il des avantages ou des déductions supplémentaires (parking, repas subventionnés, téléphone, etc.) ?
- Pouvez-vous me montrer un exemple de fiche de salaire pour un employé avec un salaire similaire ?
En croisant ces réponses avec un ou deux simulateurs en ligne, vous aurez rapidement une vue beaucoup plus précise de votre futur « vrai » salaire.
En résumé : transformer le brut en net sans perdre le nord
Calculer le brut–net en Suisse romande n’a rien d’une science occulte, mais demande de prendre en compte plusieurs couches :
- Les assurances sociales fédérales (AVS/AI/APG, AC, LAA) relativement standardisées
- La prévoyance professionnelle (LPP), très dépendante de l’employeur et de l’âge
- Les assurances complémentaires éventuelles (perte de gain maladie)
- Les spécificités cantonales en matière d’impôt à la source et de fiscalité
- Les usages locaux : 13e salaire, CCT de branche, allocations
Pour un employeur comme pour un salarié, la combinaison d’une compréhension minimale des mécanismes, de quelques règles de pouce, et de simulateurs en ligne bien choisis permet de transformer une discussion floue sur le « salaire » en un échange concret sur le revenu réellement disponible.
Dans un contexte où la concurrence pour les talents est forte, notamment en Suisse romande, cette transparence sur le brut et le net n’est plus un luxe : c’est un avantage compétitif, et souvent le début d’une relation de travail durable.
